Analyse Bernardo définit la morsure de Luis Suarez

Olivier Baute
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Bernardo définit la morsure de Luis Suarez
Photo: © Photonews
Deviens fan de Uruguay! 4

Ce lundi 30 juin 2014, en Angleterre, un enfant de 7 ans a mordu son copain lors d'un match de football dans la cours de récréation. Il voulait imiter son idole Luis Suárez...

Mordre (mor-dr'), je mords, tu mords, Luis Suarez mord, nous mordons, vous mordez, ils mordent ; je mordais ; je mordis ; Luis Suárez mordra ; je mordrais ; mords, qu'il ne morde plus, mordons, mordez, qu'ils mordent ; que je morde, que nous mordions, que vous mordiez ; que je mordisse ; mordant, Giorgio Chiellini a été mordu v. a.

• 1. Entamer avec les dents. Un chien enragé l'a mordu. Il a été mordu d'un centre-avant.

• Fig. Dépasser son territoire.

Première apparition en français garanti d' ́époque pour antiquaire : XIème siècle

Origine : Mordere en latin avec déplacement de l'accent tonique sur la première syllabe. Se rattache au radical sanscrit mard, qui veut dire : broyer.

Mordre est culturellement très mal accueilli. L'acte est répulsif. C'est un acte rare dans les combats, parce qu'il nécessite d'être très près de son ennemi, donc de s'exposer. Or, la majorité des combats d'aujourd'hui sont le fait de lâches ou de personnes prenant soin de leur propre intégrité physique. Donc qui s'exposent peu.

Mordre évoque encore de nos jours le risque d'une contamination infectieuse comme celle du sida. Mordre est un acte peu apprécié des adultes, parce qu'il est très douloureux d'être mordu, mais il est normal chez le petit enfant, qui découvre la vie avec sa bouche, qui lui permet de se nourrir et boire, en tétant et en recevant des bisous, nourriture affective.

Pour certaines théories psychologiques et psychanalytiques, le fait de mordre nous renvoie à un être humain préhistorique (enfant préhistorique, parfois appelé archaïque) qui se caractériserait, selon Sigmund Freud, par la violence, l'inceste et le cannibalisme. Cet enfant resurgit dans des situations de la vie de tous les jours de manière inconsciente ; il se révèle dans le vocabulaire (exclusivement, ajouterait, sans doute á tort, Lacan). Par exemple le cannibalisme : des personnes se rongent les ongles, mâchent des petits morceaux de peau morte ou déclarent à un être aimé : je te mangerais bien.

On dit également d'une enfant : elle est belle à croquer ou d'une personne sexuellement attirante : j'en ferais bien mon petit-déjeuner. On relève encore des exhortations comme mordre dans la vie à pleine dent et l'on dit couramment d'un amoureux qu'il est bien mordu.

Cet enfant archaïque apparaîtrait aussi lorsque nous sommes en somnolence. Par exemple, il a été établi qu'une grande majorité de personnes devant leur télévision, pendant les publicités, ou quand leur programme favori est terminé, zappent à la recherche de violence, de sexe ou de sang. La violence, l'inceste et le cannibalisme sont des sujets et des comportements tabous, souvent jugé par la population comme inadmissible et ignominieux, justifiant une condamnation à mort sans appel de son auteur, indépendamment de l'acte.


Mordre est un élément d'une pulsion d'agressivité.

Il est encore moins contesté que tout acte d'agressivité relève d'une difficulté de s'adapter à une situation différente de celle qui est souhaitée. Cette nouvelle ou autre situation est inconfortable ou paraît invivable. L'environnement et tout changement nous agressent. Mordre peut être, alors, la reproduction d'une première morsure, réaction lors d'une expérience très ancienne, réponse qui a fonctionné à la satisfaction de son auteur. Son auteur reproduit donc la solution primitive qu'il a validé, souvent quelque soit le problème rencontré, tant qu'il y a similitude d'un des éléments de ce problème. En un sens, l'agressivité qui relève de l'instinct est narcissique car elle exprime la volonté de son auteur de s'imposer envers et contre tout dont tous.

Cette théorie, bien démontrée par le psychanalyste américain d'origine autrichienne Erich Fromm dans son ouvrage La Passion de détruire: anatomie de la destructivité humaine, explique également que cette agressivité peut être retournée par son auteur contre lui-même, par exemple la maladie somatique ou psychique, le suicide, acte narcissique par excellence, l'automutilation ou encore dans des cas qui paraissent absurdes comme le prisonnier qui met le feu à sa cellule détruisant ainsi son cadre de vie et ses rares objets personnels.

Les psychologues et psychanalystes analysent la cause de la morsure d'un adulte par un autre adulte comme un acte d'agressivité provoqué par une frustration forte, ou parfois en dernier recours. C'est bien ainsi que le fait de mordre nous est, généralement, proposé dans les films d'action au cinéma ou à la télévision. C'est bien ainsi, sans doute, qu'il faut expliquer le comportement primitif de Luis Suarez, dont les 4 passages à l'acte ont lieu à la fin d'un match où il a été empêché, par tous les moyens, de développer son jeu. Car ce joueur de 27 ans, pétri de talents et, généralement, décrit par ses proches comme très humain, est un récidiviste et un récidiviste notoire (il s'agit de sa 22ème condamnation comme joueur professionnel qui comprend, entre autres, des coups volontaires, des injures racistes et les 3 morsures précédentes).

Sa troisième morsure, qui survient en avril 2013 lors d'un match entre Chelsea et Liverpool, sa formation, qui lui voudra une très longue suspension de 9 matchs, génère un débat important en Angleterre. Des psychiatres, des professeurs et des chercheurs en psychologie analysent son cas. Le caractère primitif et répétitif de son geste est souligné ; en effet, les deux premières morsures ont eu un effet nuisible sur ses propres patrimoines, incorporels et corporels : son image de marque a été dégradé et il a perdu beaucoup d'argent, sinon une part de son avenir à un plus haut niveau. Pourtant, il récidive une troisième fois, indiquant par là combien ce geste est instinctif chez lui. La conclusion du plus éminent professeur selon laquelle il récidivera dans les 5 ans, malgré une thérapie, n'est contestée par personne. Il aura fallu moins d'un an.

Ce qui interpelle dans cette quatrième morsure est son caractère narcissique. En effet, son équipe est qualifiée pour les 1/8èmes de finale et le cœur de tous les supporters de la Céleste est à la fête. Mais pas le sien, car, lui, n'est jamais parvenu à se mettre en évidence : il a pris des coups et il est frustré. D'autant plus que le match précédent, il avait inscrit deux buts vengeurs qui avaient crucifié la nation qui l'avait brûlé publiquement : l'Angleterre.

A l'instant de sa première défense, dans les secondes qui suivent l'agression, il reste dans l'enfant, mimant de manière grotesque une situation où il aurait reçu un coup dans les dents par en-dessous. D'une manière plus étonnante, il va conserver cette ligne, multipliant les enfantillages, en déclarant par exemple qu'il sera protégé par la FIFA, Fédération Internationale du Football, organisatrice de l'évènement ou minimisant l'acte, sans prendre conscience qu'il y a dans son affirmation du caractère usuel de la violence sur le terrain de football lors d'un match une réponse simple qui est l'acte de légitime défense en réponse à une autre agression. Puis, il choisira, consciemment ou non de se présenter en victime.

En ce faisant, il se coupe de la réalité, qui comprend sa biographie et donc son casier judiciaire. En refusant d'affronter le passé ancien, récent et immédiat, il rend le futur impossible et contraint les juges à une sanction proportionnelle aux précédentes sanctions car, entre autre, ils ne peuvent pas désavouer les premiers jugements promulgués par des fédérations membres (Pays-Bas et Angleterre, principalement). C'est pourtant bien le sens du repentir et du pardon qui font suite à la prise de conscience de la responsabilité personne dans l'acte préjudiciable : cela ne peut rien changer (malheureusement) au passé, mais cela peut rendre un avenir possible.

Bien au contraire, quand le héros s'affiche comme victime, il déclenche des réactions émotionnelles agressives des groupes de fans, disproportionnées et incontrôlables. Dans tous les cas, il nuit à sa cause. Nous venons encore de le voir ce dimanche dans le match de huitièmes de final entre les Pays-Bas et le Mexique. Frustré par le revirement du score suite à une épuisante bataille des tranchée voulue par leur coach, peu courageux et contre-nature, un arrière central comment un pénalty sur Robben, avant des Pays-Bas dans les arrêtes de jeu. Plutôt de tout faire pour ce que cette pénalité soit tirée le plus vite possible, son équipe et lui-même perdent deux précieuses minutes (soit 50% du temps restant) à contester la décision de l'arbitre. Quel amateur de football a le souvenir d'une contestation d'une faute évidente qui a abouti ? Personne.

Au contraire, un joueur de l'équipe prend un deuxième carte jaune, l'équipe se déconcentre et perd toute chance d'égaliser. Le rôle de victime donne une grande importance, notamment médiatique, mais aggrave la situation de la personne.

En un sens, Luis Suarez confirme bien son statut d'enfant (-roi) et une certaine irresponsabilité. Il pourrait ainsi déclencher une spirale infernale ainsi que les réactions violentes inacceptables des Uruguayens peuvent le faire craindre. Nous avons vécu et nous vivrons encore une même situation, toute proportion gardée, en Belgique avec l'ancien joueur de football et gardien de but Gilbert Bodart, qui s'est toujours présenté comme victime dans tous les actes contraires à l'ordre public qu'il a posé. Malgré des flagrants délits, des condamnations avec et sans appels, il reste aux yeux de supporters fanatiques du Standard la victime qu'il se décrit, réclamant même à grands cris sa réinsertion dans un club, auquel il a, pourtant, nuit.

Dans son cas comme dans bien d'autres apparaît alors la grande explication, magique du peuple pour désigner les vrais coupables : la théorie du complot, incluant la culpabilité d'importantes personnalités.

En psychologie sociale, la thèse de la théorie du complot est bien connue. Elle est toujours le fruit d'une réponse émotionnelle du groupe à un évènement ignominieux inacceptable. Un homme seul ne peut pas être la cause et le responsable de cet évènement. C'est donc un homme de paille, bouc émissaire des comploteurs. L'évènement morbide est d'autant plus inacceptable qu'il succède rapidement á une grande allégresse. Dans le cas de Luis Suárez, l'exclusion et la rapide sanction font suite à son match triomphal contre l'Angleterre ainsi qu'à la qualification de l'Uruguay pour les huitièmes de finale, qualification qui était encore célébrée. En langage populaire, on dit qu'il est tombé de très haut. La Belgique a connu et connaît encore quelques cas judiciaires où la théorie du complot s'est affirmée avec force contre les faits, contaminant même le milieu judiciaire avec l'apparition de dossiers bis et la presse avec de nombreux articles et livres basés sur des rumeurs et déclaration de mythomanes.

En présence de ces réactions émotionnelles, la raison et ses tenants sont démunis. Le dialogue est impossible. Comme le conte bien une petite histoire, une personne ayant l'heure juste entrant dans une ville où personne n'a l'heure juste, ne parviendra jamais à faire prévaloir la raison. Bien au contraire, il sera cloué au pilori s'il s'oppose à l'heure fixée sur une inspiration divine par un de ces grands prêtres qui apparaissent dans les crises et vénéré par la population, tout aussi perdue qu'éperdue.


Ce lundi 30 juin 2014, en Angleterre, un enfant de 7 ans a mordu son copain lors d'un match de football dans la cours de récréation. Il voulait imiter son idole Luis Suárez...

Cet enchainement de violence démontre un autre fait, qui devrait être mieux pris en considération par les instances du football, à tous les niveaux, : la violence naît du terrain. Le principe de la tricherie a été légitimé par les médias le premier jour où une faute volontaire a été qualifiée de nécessaire. Ainsi, on a également légitimité, sans le dire, l'adage qui énonce que "la fin justifie les moyens". Comment faire comprendre à des esprits simples de supporters et de groupes de supporters que cet adage vaut sur la pelouse mais non en dehors lorsqu'ils croient avoir la possibilité d'aider leur équipe ?

D'autre part, toute faute développe une réaction chez le supporter : le désir de punir (Le désir de punir, Thierry Levy, Fayard, 1979). Un sentiment d'agressivité prend alors naissance, souvent renforcé par un sentiment d'injustice lorsque l'arbitre ne siffle pas telle faute ou ne la sanctionne pas avec la force souhaitée par les supporters. Il s'en suit que, dans une sorte de généralisation du maillot ennemi, le supporter exécute la sanction sur le premier objet ou la première personne qui incarne cette représentation, par exemple.. un supporter adverse. Ce désir de punir est ancré au fond de chacun de nous. Nous pouvons le percevoir quand le conducteur d'une automobile faite une erreur devant nous. Plus de 85% des conducteurs souhaiteraient le punir sur le champ.

Comme la FIFA le rappelle régulièrement, de façon correcte, les acteurs du jeu ont un impact éducationnel. La FIFA se trompe lorsqu'elle insiste sur l'impact sur sa propre image. L'impact est immédiat et sur le peuple comme la personne qui supporte qui suit le match.

Tous les supporters belges savent cela de façon consciente ou inconsciente. Ainsi, à l'exception des supporters d'Anderlecht, tous les supporters du football se sentent agressés par les comportements de hooligan de Silvio Proto, gardien du Sporting d'Anderlecht lorsque le déroulement du match le contrarie. Il insulte alors les supporters adverses, les provoque avec de grands gestes d'un goût douteux, et ainsi de suite. Il jouerait dans un autre club qu'il aurait déjà été interdit de stades depuis longtemps. Il semble, cependant, qu'un membre du staff anderlechtois en a, enfin pris conscience et raisonné ce bon gardien car il est apparu plus correct lors de la seconde partie de cette saison.

Beaucoup de théoriciens émérites proposent d'intéressantes analyses sociologiques, juridiques, psychologiques, et autres, qu'elles soient structuralistes, marxistes ou autres qui présentent le football comme un reflet des questions sociétales, par exemple. Affirmer et montrer que la violence naît du terrain ne contredit en rien la pertinence de ces approches. Elles se complètent bien souvent.

Cette frustration est donc également exacerbée par le sentiment d'injustice. A l'origine, le football était régi par des lois simples : il s'agit d'un sport - non d'une guerre ou de son substrat - qui se joue avec les pieds (à l'exception du gardien de but dans une surface donnée et des rentrées latérales où les mains peuvent être utilisées), les bras le long du corps, dans le respect absolu de l'intégrité physique de l'adversaire. Il s'agit de propulser un ballon dans un goal et de totaliser un maximum de goals dans un temps donné. Le décompte des goals à la fin du temps réglementaire permet de connaître l'éventuel vainqueur. Ces règles sont régies par des lois du jeu, sous l'égide du comité très conservateur, l'International Board, se composant d'un représentant des 4 régions anglaises fondatrices des fondements du football et de 6 représentants de la FIFA.

L'introduction de l'interprétation, sous prétexte que l'arbitre de terrain a des perceptions plus aigues et plus justes, a engendré un sentiment d'arbitraire et donc d'injustice, qui s'est développé d'autant plus rapidement que les moyens technologiques permettant aux médias de juger le juge ont progressé mais sont refusés aux juges de terrain. Pourtant, les supporters, semblant penser que l'arbitre dispose de toutes les facultés technologiques, enchaînent alors les procès d'intention. Les joueurs, les entraineurs et les média savent jouer avec ces sentiments parasites et une fois encore Luis Suarez en fournit un bel exemple, fut-il inacceptable.

Les supporters sont d'autant plus concernés qu'un intérêt personnel économique s'est ajouté à leur passion suite à l'introduction des paris sportifs. Il me semble qu'il y a eut une prise de conscience de cela à la FIFA, puisque pour la Coupe du Monde 2014, certaines lois du jeu ont perdu leur interprétation arbitraire : ainsi pour les fautes de main , la notion, très relative, d'intention a été abandonnée au profit d'une notion géométrique : le ballon est dévié ou non. Et on revoit des footballeurs qui ont, maintenant, bien le temps de placer leur bras dans le dos dans le grand rectangle...

Le FC Barcelone, est désireux d'engager le centre-avant Luis Suárez. Suite à cette dernière morsure et aux sanctions qui ont suivi, l'indemnité de départ fixée par le club de Liverpool, où il est sous contrat a baissé de près de 40%. Le joueur a perdu deux de ses plus importants sponsors. Le Barça a mis deux conditions à son engagement : des excuses publiques et une clause fixant une pénalité financière en cas de nouvelles morsures (et insultes racistes).

Ce lundi 30 juin, le joueur a avoué avoir mordu son adversaire et lui a présenté des excuses publiques.

Et si les amendes valaient bien toutes les thérapies ?

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