L'Alphabut de Dupk : la lettre L

Dirk Diederich
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L'Alphabut de Dupk : la lettre L
Photo: © SC

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Les lettres se succèdent à petit trot. Voici déjà la douzième : le L comme L'arbitre.

L comme L’arbitre

« Il en est de nos jugements comme de nos montres ; aucune ne dit comme l'autre, mais chacun se fie à la sienne ». Alexander Pope


Même s’il est de compétition, le freesbee est un sport d’équipe basé sur le fair-play. C’est (hormis le sexe et le sudoku) le seul sport sans arbitre. On joue. On respecte l’adversaire qui est le compagnon de jeu de l’équipe d’en face. Au football par contre, on n’imagine plus un match sans arbitre. Tentez le coup. Fermez l’espace d’un instant les yeux ! Et imaginez le match sans homme en noir ! Que celui qui ne pense pas à un énorme fouttoir me jette le dernier CD de Céline Dion à la gueule.
 
Non ! Un match sans arbitre est aussi inimaginable que Paris sans la Tour Eiffel, que Dick Advocaat sans morgue, que 2018 sans la coupe du monde en Russie.

Pourtant, il est la tête de pipe du stade, celle que tout le monde dégomme.

L’arbitre est seul ou presque. Il est assisté par deux autres paires d’yeux qui suivent le match avec lui à près de cinquante mètres de distance. Un match de football n’est surveillé de fait que par six yeux d’autorité, sans zoom mais en 3D. Six yeux pour couvrir cinq mille mètres carrés squattés par vingt-deux fourbes, cinq mille mètres carrés malmenés par vingt-deux tricheurs.

Et c’est « Vingt-deux, vlà les...joueurs » qu’on a  le culot de dire.

Un ballon quitte l’aire du jeu ? Vingt-deux bras se lèvent aussitôt pour exiger la rentrée en touche. Un joueur s’effondre dans le grand rectangle adverse ? Dix coéquipiers se précipitent comme des enragés vers l’homme au sifflet pendant que les onze autres le bousculent, l’interpellent, jouent les effarouchés, invoquent Dieu et évoquent l’erreur judiciaire.

L’arbitre rend un verdict immédiat. Sans délibération. Sans réflexion approfondie. Il est là, comme un Buster Keaton frêle au milieu de la mêlée. Il siffle dans un sens, c’est l’autre sens qu’il prendra dans la tronche. C’est la logique du burlesque de l’arbitrage.

Un joueur rate une passe, c’est humain. Un attaquant  rate un but, c’estbien essayé. Un gardien se troue, personne n’est parfait, on a tous nos défauts, on a tous un côté Yves Leterme. Par contre, dès que retentit au milieu du troupeau le pipeau du berger, c’est l’hallali général. Les loups de la mauvaise foi sortent du bois. Alors que lui, il ne demanderait qu’à croire qu’il sifflote la mélodie du bonheur dans un camp scout, qu’il est là comme le Petit Prince à tailler un brin de causette avec les stars.

Il siffle les fautes. Cependant, rien n’est plus difficile que d’évaluer une faute, de soupeser le bien et le mal. Le fameux « Tu ne jugeras point » asséné par qui vous savez  n’a pas été dit à la légère aux seuls imbéciles et simples d’esprit. Le risque d’erreur est toujours présent. Mais l’arbitre siffle tout de go, d’une pièce. Il est payé pour ça (même si c’est pas de mine). Il est la locomotive qui tire vingt-deux wagons indisciplinés prêts à dérailler à tout moment et à rejouer Huizingen ou Pécrot.

Il siffle les fautes. Et tout autour de lui, tout le monde le siffle comme un écho malsain. Il est « L’Union Belge Saligaud » à lui tout seul. Rarement un éloge ne souligne sa prestation sans faute. Combien d’arbitres ont déjà été applaudis avant ou après un match ? Il endosse le rôle ingrat et l’ingratitude est effectivement son lot.

Mais la tartufferie du moment, c’est le débat de la video. C’est l’urgence pour certains. A l’heure d’une société de la précarité, d’un réseau ferroviaire décrépi, des restos du coeur bondés, des FC CPAS, des gugusses suggèrent d’équiper les stades de caméras à 40.000 euros pièce qui serviront d’écriture Braille à l’arbitre aveugle. Comme si l’image détenait la vérité suprême (de volaille ). Or, l’image se truque sans problème. Qui va contrôler, qui va arbitrer les cameramen et les réalisateurs des enregistrements d’images ?

Et même, en faisant l’économie de ce procès d’intention, l’image n’est qu’une apparence figée et trompeuse.

Je me souviens d’un match au Standard de Liège. Jason Vandelanoitte touche le ballon de la main dans le grand rectangle. L’arbitre siffle. Personne n’a vu de faute de main, sauf le referee. Avec des amis journalistes, nous visionnons à la mi-temps une dizaine de fois la phase. Les images donnent tort à l’homme en noir. Après la rencontre, je veux avoir la réaction de Vandelanoitte à l’injustice qui l’a pénalisé. Mais le défenseur de Tubize m’avoue avoir touché le ballon de la main.

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