Notre ambassadeur pour le Chili savoure la qualification des siens. Il nous explique que cette réussite n'est pas une surprise de l'autre côté de l'Atlantique.
Wf: La qualification est déjà assurée et c'est à présent la première place qui est en jeu. Comment le Chili va-t-il aborder le match face aux Pays-Bas? Au-delà de l'honneur de finir premier de ce groupe de la mort, c'est surtout, et en principe, l'assurance d'éviter le Brésil au tour suivant qui sera l'enjeu de ce match ! A mon avis le Chili ne doit rien changer à ses plans.
Certes les Pays-Bas jouent différemment de l'Espagne, développant un jeu beaucoup plus rapide et vertical que les hommes de Del Bosque. Tout comme le Chili finalement. Cela risque de nous offrir un match fermé en première mi-temps. Un match dans lequel chacune des deux équipes cherchera à prendre le parti de la moindre faute de placement ou d'organisation de l'adversaire. Ce qui n'est pas vraiment fait pour le Chili. Je pense qu'au contraire les hommes de Jorge Sampaoli auraient tout intérêt à mettre la pression sur cette équipe néerlandaise qui reste friable derrière. On l'a vu dans le match face à l'Australie : sans le sens du but de Van Persie et la vitesse de Robben, les Pays-Bas n'auraient jamais émergé. Le Chili doit donc s'inspirer des Socceroos qui ont joué l'offensive, quitte à prendre un but en contre. Le Chili apparaît toutefois plus costaud défensivement que l'Australie et donc sera une autre paire de manches pour les Hollandais.
En conférence de presse, le défenseur central Francisco Silva et le milieu défensif Carlos Carmona ont levé une partie du voile sur la manière avec laquelle la Roja abordera réellement ce match : "Nous aimerions éviter le Brésil et nous sortir cette épine du pied mais nous prenons match par match", a tout d'abord lancé Carmona. "Nous allons nous retrousser les manches, car notre objectif est de finir premier du groupe, a poursuivi Silva. Les Pays-Bas sont une bonne équipe. Mais pour les affronter, nous devrons être appliqués comme nous l'avons été face à l'Espagne." "Nous nous entraînons actuellement pour préparer ce duel avec les Oranje, a complété Carmona. La Hollande possède une attaque dangereuse et vivace. Mais nous avons un plan pour la déjouer et nous y travaillons."
Wf: Le match face à l'Espagne a montré les limites du champion du Monde, mais aussi les qualités du Chili. Tes observations sur ce duel?
Elles sont nombreuses. Bien sûr il y a une nouvelle fois, quelques jours après celle face aux Pays-Bas, la faillite de l'Espagne. Mais le Chili a joué le match qu'il fallait.
Mon avis que l'élimination du tenant du titre résulte de plusieurs facteurs qu'on pourrait qualifier de "générationnels". En effet, comme beaucoup d'observateurs l'ont fait remarquer, la Roja d'Espagne possède en ses rangs des joueurs vieillissants, tels que sa paire axiale Xavi / Xabi Alonso. Le fait que cette équipe vieillissante a déjà tout gagné peut aussi expliquer le manque de réaction et la nonchalance des joueurs espagnols face aux événements. Et le fait aussi que la saison en Espagne ait une nouvelle fois été très longue (titre en championnat joué lors de l'ultime journée et trois finalistes des coupes européennes étaient espagnols : les deux Madrid et Seville) peut aussi, en partie, expliquer le manque de fraîcheur et de ressources de l'Espagne dans cette Coupe du Monde. Et puis il y a aussi d'autres facteurs moins évidents : les blessures à répétition de Diego Costa qui l'ont empêché d'être à 100% au Brésil, les sifflements du public à son égard et le manque de solutions sur le banc, la préparation qui n'a pu commencer que très tard en raison des finales européennes précitées, ... Et il y a le phénomène Casillas. Capitaine et véritable star du foot espagnol et mondial, il est, c'est vrai, passé à côté. Montrant peu d'assurance. Deux choses peuvent expliquer cela : le fait de ne plus jouer beaucoup depuis deux ans (à l'origine d'un manque de confiance ?) et la naissance récente de son enfant (à l'origine d'une grosse fatigue et d'un manque d'attention ?).
Mais ce qu'il y a eu de marquant, c'est que si l'Espagne n'a pas su reproduire son fameux toque ou tiki-taka qui en a fait l'une des plus belles équipes de tous les temps, c'est en partie aussi à cause de (ou grâce à) l'adversaire ! La chose était criante, surtout en seconde mi-temps : là où l'Espagne attendait une erreur de l'adversaire, le Chili la provoquait ! Les hommes de Del Bosque attendaient en effet une mauvaise passe de l'adversaire pour récupérer le ballon et construire leur jeu, tandis que le Chili allait chercher le ballon dans les pieds des Espagnols au moyen d'un pressing rugueux et intense. L'Espagne en avait ainsi "plein les pattes", ayant du mal à poser le jeu, surtout en l'absence de son métronome, Xavi, laissé sur le banc au profit d'une explosivité des flancs qu'on n'a finalement pas vus.
L'Espagne n'y était pas et il ne faudrait surtout pas brûler cette génération trop vite, qui a encore de belles choses à accomplir et qui se renouvelle malgré tout (Koke, Silva, Javi Martinez, Isco, ...). Mais sur ce match, comme pour celui face aux Pays-Bas, le mérite en revient au moins pour moitié à l'adversaire, qui a trouvé le moyen de contrer ce jeu qui a dominé le football mondial ces pratiquement dix dernières années !
je voyais plutôt l'Espagne passer au détriment des Pays-Bas
Wf: S'agit-il réellement d'une surprise, cette qualification du Chili dans ce "groupe de la mort" ?
Pour moi, non. Même si je dois avouer que je voyais plutôt l'Espagne passer au détriment des Pays-Bas. Mais le Chili possède une génération exceptionnelle pour le pays. Un peu comme chez nous, en Belgique, il s'agit peut-être de la meilleure génération de tous les temps, qui doit certes encore grandir, mais qui a acquis récemment la confiance et la rigueur tactique nécessaires pour faire trembler tout le monde sur la planète foot.
Déjà lors du Mondial sud-africain en 2010, le Chili avait montré de belles dispositions techniques mais avait subi la loi de l'Espagne. Il lui manquait ce petit quelque chose face aux grosses équipes et elle pouvait se faire avoir "bêtement" par un adversaire bien plus modeste par manque de concentration. Mais le talent était là. Et lorsque j'ai vu en 2011 la victoire écrasante de la U de Chile en finale de la seconde coupe continentale, j'ai vu ce football que l'on retrouve aujourd'hui en équipe nationale (normal, c'est le même coach !), à savoir un jeu rapide, au pressing intense, à l'organisation robuste et la verticalité tranchante.
Enfin, avec des Jorge Valdivia, Alexy Sanchez, Arturo Vidal ou encore Gary Medel, Mauricio Isla et Claudio Bravo, le Chili possède des joueurs qui ont aujourd'hui une grande expérience. Mais le noyau regorge aussi de jeunes talents et de joueurs sans complexes, tels que Eduardo Vargas, Eugenio Mena et Charles Aranguiz. En d'autres termes, le Chili a trouvé aujourd'hui un équilibre, qui lui permet de rivaliser désormais avec les meilleurs.
Wf: Où va s'arrêter le Chili dans cette compétition?
Sincèrement, je ne sais pas. Cela peut s'arrêter en huitième comme le Chili peut aller loin. Depuis sa demi-finale de 1962, la Roja du Chili rêve d'intégrer le dernier carré d'une Coupe du Monde. Mieux physiquement et mieux organisé qu'en 2010, le Chili a déjà frappé un grand coup en éliminant le tenant du titre pour se qualifier pour le tour suivant. Cela va leur donner une confiance inespérée ! Et sans être une nation favorite du tournoi, elle pourrait, comme je l'avais écrit dès avant son premier match, être une sorte de "giant killer" de la compétition. Je ne serais ainsi pas surpris si elle éliminait le Brésil au tour suivant avant de se faire avoir par la Côte d'Ivoire ou la Colombie en quarts. Et comme je l'ai déjà dit aussi, le dernier carré nous offre systématiquement une surprise. J'aurais d'avantage misé sur la Colombie avant le tournoi, mais force est de reconnaître que le Chili possède tous les atouts pour y arriver également.
La Roja nous donne en tous les cas beaucoup de plaisir sur le terrain, illustrant à merveille le fait que, comme beaucoup de personnes le pensent, cette Coupe du Monde sera celle des nations sud-américaines. Voire latino-américaines.