Un Belge coach de l'un des plus grands clubs d'Algérie : "Je savoure l'instant présent"
Il y a des parcours improbables qui vous mènent parfois où vous devez être. Jamil Benouahi, qui dirige depuis quelques semaines l'USM Alger, peut en témoigner.
Jamil Benouahi a 43 ans et s'il est né au Maroc, il aura fait la majeure partie de sa carrière de joueur en Belgique, obtenant la nationalité belge après son arrivée au pays en 1997. Dès le début de sa carrière, le jeune milieu défensif s'oriente vers l'autre côté du miroir - la formation, les jeunes, le banc. Voilà que 25 ans plus tard, il vit sa première vraie expérience en tant que coach principal dans un grand club, à l'USM Alger. Walfoot s'est entretenu avec Jamil Benouahi, qui est revenu pour nous sur son parcours.
Monsieur Benouahi, expliquez-nous un peu votre parcours depuis votre arrivée en Belgique...
Mon arrivée, en 97, a correspondu à un changement de philosophie en Belgique au niveau de la formation. J'ai immédiatement, dès mes 18 ans, souhaité m'orienter vers la formation. À l'époque, plutôt que de tout centraliser, l'Union Belge a mis en place des petits centres locaux pour faire des brevets de formation. J'ai notamment bénéficié de l'enseignement d'Eric Leroy, qui est directeur technique de la fédération du Québec depuis des années. Mais par la suite, j'ai rejoint le club des Géants Athois, qui avaient beaucoup d'ambition sportive. C'était l'époque où les Géants avaient Georges Heylens aux manettes, avec des grands noms comme Edmilson sur le terrain...
Jusqu'en 2006-2007, j'ai donc mis la formation de côté pour privilégier ma carrière quelques années. Puis, j'ai joué aux Francs-Borains, à Boussu. Et le hasard a voulu que Nimy ouvre son propre centre de formation à ce moment. C'est un joueur adverse, de Pâturages, qui m'en a parlé. Ce sont de ces petits événements qui ne sont pas des hasards (rires). J'ai continué ma formation, vers l'UEFA B, puis l'UEFA A. L'un des instructeurs était alors Felice Mazzù. Dans notre groupe, beaucoup sont parvenus à de beaux postes, en Belgique, au Moyen-Orient...il y avait notamment Sandro Salamone, qui fait toujours partie du staff de Mazzù à l'Union. Ils avaient de bonnes relations à l'époque, déjà.
Quel a été le plus haut niveau auquel vous avez joué durant votre carrière ?
C'était avec Tubize, en Proximus League. Enzo Scifo était le manager. Je sais qu'il a par la suite obtenu de bons résultats avec Mons et Mouscron et j'étais content pour lui car c'était quelqu'un de gentil, qui avait un bon fond. Son problème, à l'époque, était qu'il n'avait que la quarantaine. Dans sa tête, il était toujours joueurs. Je sais que récemment, ça ne s'est pas bien passé pour lui.
Personnellement, je n'ai pas eu une carrière très riche en tant que joueur...et ça permet donc de suivre plus de formations. J'en ai notamment suivi une avec le regretté Jacques Rogge, organisée par le CIO. J'ai été diplômé en 2010, et j'ai eu l'opportunité de rejoindre le Qatar en 2012.
Pile au début du projet qatari, qui les a menés jusqu'au titre de champions d'Asie récemment...
Exactement. Leur projet était d'amener un peu d'expérience, venue d'un peu partout. Ils mettaient le paquet pour être attractifs, nous étions bien payés à l'époque. L'académie Aspire venait d'être mise en place et ils testaient diverses écoles. L'école belge était recherchée. Ils ont fini par se fixer sur l'école espagnol et y aller à fond, avec un suivi dès les équipes de jeunes et le même entraîneur qui a mené des jeunes jusqu'au titre de champion d'Asie. Le Qatar avait un plan, s'y est tenu et de ce point de vue, ils ont fait tout ce qu'il fallait pour être compétitifs lors de "leur" compétition.
Vous étiez alors entraîneur des jeunes au Qatar SC. Avez-vous vu percer des talents ?
En fait, les jeunes les plus prometteurs allaient immédiatement travailler à l'Académie Aspire. Quatre de mes U14 ont été envoyés à Aspire, et revenaient au club pour les matchs. Mais c'était déjà une grande fierté de les voir percer en équipe A. Le souci du Qatar a longtemps été que les jeunes n'y avaient pas "faim"...au sens propre et figuré. D'abord parce qu'il y a un confort matériel évident, qui fait que ces gamins n'ont pas besoin du football dans leur vie. Ensuite parce que ce n'est pas dans leur culture de se faire mal, de faire des efforts.
Mais le Qatar a réussi un tour de force, c'est de créer une forme de passion. Aujourd'hui, les Qataris n'ont toujours pas "besoin" du football, mais ils l'aiment profondément.
En parallèle, vous continuez alors vos formations ?
Oui, j'ai pris part à la formation AFC au Qatar et j'ai notamment eu l'occasion d'y côtoyer Djamel Belmadi, aujourd'hui sélectionneur de l'Algérie. Par après, j'ai eu l'occasion de vivre une expérience en tant qu'entraîneur assistant au Qatar, à Al-Shamal, mais ça ne s'est pas passé comme je l'ai voulu. Puis, j'ai pu rejoindre le staff de Madjid Bougherrah (ex-Rangers, ex-Charlton, 70 caps en sélection, nda), à Fujairah, aux Emirats Arabes Unis. Il coachait des jeunes au Qatar en même temps que moi, et nous avions donc fait connaissance. Madjid cherchait quelqu'un qui avait la même mentalité que lui, qui parlait la même langue.
De fil en aiguille, vous vous retrouvez à Fès, au Maroc. En tant que directeur général...
J'avais officiellement ce statut là, mais je n'avais pas toutes les cartes en main pour vraiment exercer ce rôle. J'ai tenté d'y amener une forme de professionnalisme et me suis heurté à pas mal de résistance...de méchanceté, même. Le président du club était très influencé par les agents. C'est un souci récurrent au Maroc. Je pense cependant qu'il y a une volonté d'aller de l'avant et de se professionnaliser au sein du football marocain et que ça va dans le bon sens.
Est-ce ce manque de professionnalisme qui vous pousse vers l'Algérie, où vous êtes toujours actuellement ?
Non, c'est une question d'opportunités. Mon agent m'a parlé de l'USM Alger, auquel mon profil plaisait. L'USMA, ce n'est pas un nom qui parle forcément en Europe mais ça pèse sur un CV, c'est un très grand club africain. C'est un club de passion, de pression. J'ai eu la chance d'emmagasiner beaucoup d'expérience dans ma carrière et tout ça me permet d'en être où j'en suis aujourd'hui.
Vous arriviez à l'USMA en tant qu'adjoint. Désormais, vous êtes entraîneur principal suite au licenciement du coach principal, Zlatko Krmpotic...Après une défaite, vous avez gagné quatre matchs d'affilée. L'objectif, c'est de toujours être sur ce banc la saison prochaine ?
(sourire) Écoutez, je vis ma passion, mon rêve. J'ai eu la chance incroyable de vivre un derby d'Alger, contre le MC Alger. On ne se rend pas compte, en Belgique, de ce que ça signifie. La ville d'Alger est séparée en deux pour l'occasion, c'est une ambiance folle. Et grâce à Dieu, nous l'avons gagné (1-0, nda). Je vis l'instant présent et je ne veux pas le bousiller en pensant au futur, car je ne le maîtrise pas. J'ai eu la chance qu'une fois le coach principal parti, mon travail et mes qualités poussent la direction à me faire confiance. Je suis jeune, j'ai une bonne relation avec les joueurs. Tout ça, je le contrôle. Je ne contrôle pas ce qu'on pense ou dit de moi.
J'ai déjà eu l'opportunité d'interviewer des coachs belges brillant dans de grands clubs africains. Tous soulignent une chose : la passion qu'ils vivent là-bas, les stades remplis, ils ne le retrouveraient pas en Europe, à moins de signer au top absolu...
(il hésite) Bien sûr, la passion africaine, on la connaît. Le football est l'échappatoire absolu pour le continent africain, c'est sa vie. Mais l'Europe, ça reste un rêve. Une reconnaissance pour le travail fourni depuis dix ans maintenant. Je suis Belge, de nationalité et de coeur, je dois tout à la Belgique. Si j'ai la moindre opportunité de travailler en Belgique ? Je rentre à pied, bien sûr. Tout ça n'a rien à voir avec l'argent, qu'on gagne suffisamment par ici ou au Moyen-Orient. Cela a à voir avec la passion du football et la volonté d'arriver au sommet. J'avais un objectif secret : à 42 ans, je voulais être entraîneur principal, diriger mon staff. J'en ai 43, je n'ai donc pas pris trop de retard sur le plan (rires). Je savoure l'instant présent...
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