Interview Patrick Aussems et son nouveau défi au Kenya : "Je retrouve l'enthousiasme"

Patrick Aussems et son nouveau défi au Kenya : "Je retrouve l'enthousiasme"

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Patrick Aussems sillonne l'Afrique depuis de longues années, avec quelques expériences en Asie où il a notamment dirigé l'équipe nationale du Népal.

Patrick Aussems (56 ans) est ce qu'on appelle un globe-trotter du football : du Cameroun au Congo en passant par le Bénin, le Mali ou la Tanzanie, l'entraîneur liégeois a sillonné l'Afrique, remportant ses plus grands succès récemment avec le Simba SC, géant tanzanien qu'il emmène vers le titre et surtout un quart de finale de Ligue des Champions africaine. Son aventure s'y est cependant terminée de manière surprenante et après un passage avorté en Afrique du Sud, Aussems s'est relancé récemment au Kenya, à l'AFC Leopards. Entretien avec un baroudeur ... 

Mr Aussems, tout d'abord, comment se passent vos débuts au Kenya

Ca se passe très bien. Après un bref passage en Afrique du Sud l'année passée, où je n'ai donné aucune suite en raison du manque de professionnalisme du club, je m'étais retrouvé libre et j'ai eu plusieurs options. J'avais quelques contacts en Afrique de l'Ouest mais mon expérience en Afrique de l'Est (Tanzanie, nda) m'avait tellement conquis que je n'ai pas hésité. Je retrouve exactement les mêmes ambitions ici qu'à Simba, c'est un club au glorieux passé, l'un des plus grands du pays, mais qui n'a plus été champion depuis 22 ans. 

On m'a donné les clefs de la maison, comme on dit, et les choses se mettent en place, même si je n'ai au début signé que pour 6 mois. Il faut toujours un temps d'adaptation pour mettre sa philosophie en place mais là, ça paraît lancé, nous en sommes à trois victoires d'affilée, une seconde place au classement ... Tout se passe bien. 

Comment s'est terminée votre aventure au Simba SC, où tout se passait pourtant bien ? 

Je peux le révéler désormais, car c'est du passé et j'en ai de toute façon déjà parlé. Ce qui est arrivé, c'est qu'un club sud-africain, Orlando Pirates, m'a invité à visiter ses installations. Étant bientôt en fin de contrat, j'y suis allé et Simba n'a pas du tout apprécié. Pourtant, Orlando Pirates est une référence africaine, un grand club : je ne pouvais pas passer à côté. Mais voilà, le club a mis fin à mon contrat à cause de ça. 

J'estime pourtant que je n'ai pas vraiment de compte à leur rendre, mais j'aurais peut-être dû leur signaler. Les dirigeants ont profité d'une petite négligence de ma part, ça n'avait rien de sportif - nous étions premiers quand je suis parti. Le problème vient également du fait qu'en Afrique, les dirigeants veulent s'immiscer partout et que je l'ai toujours refusé ; ils ont donc saisi la moindre occasion pour faire le vide. 

C'est l'un des clichés du football africain, cette ingérence. Vous la constatez souvent ? 

Presque partout ! En Afrique, quand vous cassez certains petits business entre amis, ça ne plaît pas. Et j'ai toujours rejeté ça de toute mes forces - un dirigeant dirige, un entraîneur entraîne, c'est tout. Certains dirigeants ont déjà pu être inquiets de ce côté de ma personnalité lors des négociations, je devais les rassurer ; ce n'est pas que je suis difficile à gérer, mais je veux être seul maître de mon équipe.

Vous avez évoqué des contacts en Afrique de l'Ouest, mais avoir été séduit par le football en Afrique de l'Est, ce qui m'amène à une question : vu d'Europe, on globalise "le continent africain", mais les différences d'une région à l'autre sont-elles nombreuses ? 

Absolument. Il y a autant de différences d'une zone à l'autre qu'il y en a en Europe entre Scandinavie, Russie, Portugal, Espagne ... C'est très différent. J'ai par exemple évoqué l'Afrique du Sud, qui est l'un des championnats les plus professionnels du continent, même si le club où je me suis retrouvé (Black Leopards, nda) était une catastrophe. L'Afrique du Nord est également professionnelle avec de grandes infrastructures et de très grands clubs. A contrario, l'Afrique de l'Ouest est bien moins organisée et professionnelle ... 

Le football en Afrique de l'Est est moins médiatisé mais prend de l'ampleur, comme j'ai pu le voir avec le Simba SC avec lequel j'ai pu faire des résultats positifs. Le football kenyan stagne un peu plus, mais ce sont deux pays très comparables. Ne serait-ce que parce que c'est une culture assez proche : les deux peuples parlent swahili. Pour le détail, je ne le parle pas, je le comprends un peu et je peux donner quelques instructions en swahili mais heureusement, la langue officielle est l'anglais (rires). Surtout, je retrouve ici la même gentillesse, le même enthousiasme, et un état d'esprit très positif. Très différent de ce que j'ai pu voir en Afrique du Sud où ça ne m'a franchement pas plu. Même si c'est ma première visite au Kenya, je ne suis pas en terre inconnue. 

Les pays comme la Côte d'Ivoire ou le Cameroun sont pillés ; bientôt, l'Afrique de l'Est sera plus suivie 

Comment s'est passée l'année 2020, votre recherche de clubs ? 

Quand je suis rentré chez moi, j'ai décidé d'attendre quelques mois avant de prendre une décision ... puis la pandémie est arrivée, qui a tout rendu un peu aléatoire. Au niveau européen, un coach comme moi est "catalogué", je m'attendais donc à ne recevoir aucune offre. Et au niveau mondial, avec les interdictions de déplacements et les difficultés financières imprévisibles, tout était plus flou. On rentre également dans des considérations sanitaires et plus vraiment sportives : j'ai eu une offre de Zambie, par exemple, mais je ne voulais pas du tout y aller dans le contexte actuel. 

Et la situation du Covid-19 au Kenya, quelle est-elle ? 

Alors que les stades en Tanzanie, juste à côté, sont presque remplis, c'est vide ici. Il y a également un couvre-feu de 22h à 4h du matin, un port du masque obligatoire et je dirais qu'à Nairobi et dans les grandes villes, les gens font attention. La population des villages, c'est un peu différent, ils sont moins au courant des règles à respecter ... 

Vous nous aviez raconté la folie des derbies tanzaniens en disant, je cite, que vous ne connaîtriez jamais une telle ferveur en Europe. Cela doit être frustrant de découvrir le foot kenyan sans public ... 

Comme en Tanzanie où il y a Simba et Yanga, il y a deux clubs rois au Kenya : l'AFC Leopards et Gor Maia. Quand les stades sont ouverts, ce sont des derbies de folie et donc, en effet, c'est quelque chose que je n'ai pas encore eu le plaisir de connaître. Il devrait y avoir un petit relâchement bientôt, ils parlent d'accepter quelques milliers de supporters ... 

Que vaut le football kenyan, qu'on connaît très mal ? 

Le football africain a surtout été suivi en Afrique de l'Ouest avec les anciennes colonies françaises : Côte d'Ivoire, Sénégal, Cameroun ... Toute cette filière est très suivie et les stars qui en sortent, on les connaît. En Tanzanie, il n'y avait personne ou presque à part Aly Samatta (ex-Genk) ; quand il a signé en Angleterre, c'était la folie ! Et au Kenya, actuellement, il n'y a plus personne depuis Victor Wanyama (ex-Beerschot, ex-Tottenham, actuellement à l'Impact Montréal). 

Les clubs kenyans, cependant, tentent d'avoir des partenariats ; l'un de mes jeunes talents, âgé de 17 ans, est suivi par le PAOK Salonique, on verra si ça se fait ... Cela dit, c'est inévitable : vu à quel point les clubs ouest-africains sont pillés, les clubs européens vont finir par se tourner vers d'autres marchés, dont les clubs est-africains. Toutes les académies de Côte d'Ivoire, du Mali, etc ... sont supervisées par les clubs européens, il faut donc s'arracher les perles. Ici, il y a du talent, mais qui s'exporte peu. 

Au niveau des coachs, c'est également le cas pour toute l'Afrique : Mbaye Leye, "biberonné" au football européen, est devenu l'un des premiers entraîneurs africains du continent. Vous qui avez vu travailler énormément de coachs africains, quelle est votre analyse sur ce sujet ? 

Partout où j'ai travaillé en Afrique, ce sont des coachs locaux aux manettes. Mais c'est naturel qu'il n'y ait pas plus de coachs africains en Europe, pas par manque de qualité mais parce que la licence pro n'existe pas au niveau de la CAF. Ceux qui ont de l'expérience et font du travail de qualité en Afrique ne peuvent pas transposer cette expérience en Europe, ils doivent se rendre dans des clubs européens pour des stages, payer des formations ... Les clubs et les coachs africains n'ont pas les moyens de faire ça. Ce n'est pas un manque de qualité mais d'opportunités. 

Même les joueurs africains se reconvertissent peu. 

Le problème est que les stars du football africain sont de véritables demi-dieux dans leur pays, de grandes stars, et qu'ils préfèrent se contenter de ce rôle, d'un poste de consultant, voire de dirigeant, plutôt que de prendre le risque de devenir coachs. Leur statut est reconnu et confortable et cela leur suffit. 

Et de votre côté, ne pas coacher un Belgique, est-ce que cela vous manque ? 

Pas vraiment, car je sais comment cela fonctionne en Belgique - il faut des passe-droits, tous les clubs fonctionnent toujours avec les mêmes entraîneurs, les mêmes agents. Comme je l'ai dit, je suis catalogué. Bien sûr, il y aura peut-être un manque quand dans dix ans, je ne pourrai pas dire à mes petits enfants que j'ai entraîné dans "mon pays", mais il n'est pas trop tard, qui sait. 

Le Standard joue une demi-finale de Coupe ce week-end. Vous en avez disputé également ... 

J'ai joué une finale (en 1984, nda), qu'on perd contre Gand, club que j'allais rejoindre plus tard. Mais on parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent clairement pas connaître (rires). C'est un autre football, il ne reste rien de "mon" Standard, même si je suis toujours les résultats du club, bien sûr. Tous les équipiers de l'époque avec lesquels j'ai gardé des contacts me le disent : personne ne nous connaît plus, désormais, il faut acheter un ticket pour assister aux matchs (rires). 

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