Interview Entretien avec Albert Cartier : "On ne se lance dans un projet que s'il nous correspond pleinement"
L'ancien entraîneur de l'AS Eupen et du RAEC Mons Albert Cartier ronge son frein depuis la fin de son bail au Gazélec Ajaccio, en Ligue 2. Le temps se fait long, mais le Français de 60 ans prend son temps pour trouver le projet qui lui convient au mieux.
Albert Cartier commence à ronger son frein : bien connu chez nous pour son travail à l'AS Eupen, à Tubize, au RAEC Mons ou encore à La Louvière, le Français de 60 ans a ensuite réalisé des miracles au FC Metz qu'il fait remonter deux fois, du National à la Ligue 1 de 2012 à 2014. Après des expériences à Sochaux et au Gazélec Ajaccio, Cartier est désormais libre depuis octobre 2018 et garde un oeil sur le marché belge, où il avait été cité l'été dernier du côté de Seraing ...
Bonjour Mr Cartier. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots votre situation actuelle, et vos perspectives ?
Ma situation est claire : je suis à la recherche d'un projet. Je prospecte, j'ai récemment envoyé mon CV à un club en Égypte, par exemple. Je suis attentif et ouvert à toutes les offres, du National en France aux pays du Maghreb, par exemple, sans oublier la Belgique qui reste en quelque sorte mon "deuxième pays" et où j'ai encore des contacts et des amitiés réelles.
Le problème dans nos pays est que tout fonctionne via nos réseaux propres, là où des pays comme le Portugal et l'Espagne fonctionnent via un syndicat qui effectue les démarches pour les coachs, leur propose des postes. Ils ont une avance sur nous dans ce domaine. En 25 ans de carrière, ce n'est que la deuxième fois que je suis sans poste pendant si longtemps ! Mais je cherche surtout un projet qui me corresponde.
Trouve-t-on le temps long ou au contraire, est-ce une rare occasion de se poser et de profiter de sa famille ?
Là, on commence à trouver le temps long (sourire). On dit toujours que les joueurs ont besoin de temps de jeu et de rythme, mais c'est également le cas pour les entraîneurs : nous avons besoin de l'adrénaline de la compétition ! Mais voilà, je ne suis pas inactif pour autant, loin de là - je me tiens au courant, je prospecte, notamment via mon ami Michael Klukowski que j'ai connu à la RAAL et qui est désormais agent.
Et au quotidien, je fais énormément de sport, du vélo et de la course pour rester en forme. J'ai 60 ans mais comme on dit : on ne peut pas refuser de vieillir, mais on peut refuser de se relâcher.
Plusieurs pistes ont semblé concrètes, notamment en Afrique du Nord (au Kawkab Marrakech et à l'Étoile du Sahel).
C'était fait ! Tout était signé à Marrakech, mais le président du club a finalement cédé à la pression d'une partie des supporters qui exigeaient non pas un Marocain à la tête de l'équipe, mais spécifiquement un marrakchi (habitants de Marrakech, nda). Le président n'a pas voulu se mettre son public à dos. Même histoire à l'Étoile du Sahel où tout était réglé mais où des pressions extérieures ont fait capoter le deal. C'est comme ça et il faut faire avec ...
Dans ce métier, pour que ça marche, il faut commencer son aventure en étant sur la même longueur d'ondes avec le public, avec le club. Sans quoi vous courez à l'échec. Je vais vous raconter une anecdote : en février dernier, Le Mans cherchait un entraîneur avec pour objectif de se sauver en Ligue 2. J'ai rencontré le président, Thierry Gomez, un homme charmant, cultivé, nous avons passé un excellent moment. Puis, il m'a demandé quel était mon style de jeu. On m'avait prévenu que Mr Gomez rêvait d'un jeu à la barcelonaise. Mais je ne pouvais pas lui mentir : je lui ai expliqué que mon jeu avait pour principe d'évacuer toute prise de risque inutile, évitait les passes latérales et allait vers l'avant avec beaucoup de courses, d'engagement.
Il m'a rappelé peu après, m'a remercié pour mon honnêteté mais m'a clairement dit que cela ne correspondait pas à son projet, et que les joueurs auxquels on promettait un jeu léché risquaient de ne pas adhérer, d'être bousculés. C'est comme ça, certains projets ne collent pas. Même si quand vous êtes lanterne rouge de Ligue 2, il faut parfois mettre de côté un certain idéalisme pour justement bousculer les joueurs (sourire).
Justement, votre projet de jeu qui en demande beaucoup aux organismes est-il applicable durant cette période de Covid, avec les difficultés liées au calendrier, notamment ?
Il faut équilibrer au mieux la charge de travail entre les joueurs qui vont disputer la majorité des rencontres et ceux qui auront un programme moins chargé. Tout ça peut facilement se faire, ce n'est vraiment pas un problème. Si tu joues tous les trois jours, c'est évidemment impossible d'imposer la même charge de travail aux joueurs que si tu joues tous les dix jours.
Et en 2020, quel est votre plan de jeu, votre projet, si vous deviez reprendre un club demain ?
Je veux jouer pour gagner, c'est le plus important : je suis un compétiteur. Durant les fêtes, j'ai fait un jeu de société en famille avec ma femme et mes enfants, et c'est la même chose : nous jouons pour gagner (rires). Dans ma carrière, j'ai affronté le FC Metz, "mon" club, et je n'avais qu'une chose en tête : les battre.
Tout le monde peut attaquer, mais tout le monde doit défendre
Mais plus précisément, je veux que mes joueurs amènent de l'émotion au public. Il faut que tout le monde se donne à fond - comme je le dis toujours, tout le monde peut attaquer, mais tout le monde doit défendre. De nos jours, c'est impossible de faire autrement. On ne demande bien sûr pas au n°10 de défendre comme un défenseur central mais un bloc compact, un pressing haut, c'est important. Le joueur qui perd le ballon est le premier à devoir déclencher le pressing. Pas forcément de lui-même - imaginons qu'il le perde en tentant une transversale, il sera trop loin pour faire ça - mais par la voix, en dirigeant le pressing de récupération.
Vous avez parlé de se maintenir "frais" physiquement, mais en tant que coach, même à 60 ans - surtout à 60 ans - vous devez aussi le faire au niveau tactique, j'imagine ; vous tenir au fait de ce qu'amène la nouvelle génération ...
(sourire) Être entraîneur, c'est être chercheur. Il faut toujours chercher à s'améliorer, à améliorer ses méthodes d'entraînement, à s'adapter aux nouvelles technologies, aux nouvelles générations de joueurs qui ne peuvent pas être abordées de la même façon que les précédentes. Il faut adapter son management, car votre discours ne passera pas en 2020 comme il y a dix, vingt ans.
Un exemple de changement à l'entraînement est le rythme : avant, quand on une équipe perdait le ballon, on arrêtait l'exercice et on repassait par le rond central pour inverser les rôles. Désormais, il n'y a pas de temps morts : l'équipe qui perd la balle devient l'équipe qui doit la récupérer, celle qui récupère attaque. Toujours dans cette idée : tous peuvent attaquer, tous doivent défendre. Cependant, même si je reste évidemment au fait des nouveautés et que je m'adapte en permanence, les ingrédients qui permettent de gagner un match de football sont toujours les mêmes. Les fondamentaux ne changent pas.
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