Notre consultant "brésilien" durant la Coupe du Monde est un Belge habitant au Brésil. Bernard Bourgeois a un pied dans le monde du football, il nous explique sa vision de la Seleção.
Wf: Quel est ton rapport personnel avec le Brésil, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs?
Je m'appelle Bernardo, en fait c'est mon "apelido", sorte de surnom donné aux sportifs brésiliens, hérité d'une pratique de l'esclavage. En effet ,les esclaves étaient renommés par les propriétaires. Cette pratique est restée en vigueur dans le monde du sport, pour les joueurs noirs et s'est étendue ensuite, mais souvent avec plus de tendresse. J'aurai 60 ans dans un mois. Je suis marié avec une poétesse brésilienne et résident permanent au Brésil depuis 5 ans.
Dans le domaine du football, j'ai dû arrêter la pratique de ce merveilleux sport très jeune suite à un problème au genou gauche. De même pour l'arbitrage. Je suis alors devenu secrétaire général d'un club de national, puis au hasard de la vie, entraîneur de jeunes, puis de gardiens (à temps perdus). Au Brésil, j'ai reçu la confiance d'un club italien "européen" de 1ère division - nul n'est prophète dans son pays - et j'ai un droit de veto, de facto, sur les transferts de joueurs sud-américains. Mais je ne suis pas scout, tous les transferts étant dans les mains des agents et autres intermédiaires.
Je suis supporter du Standard de Liège. Je n'ai pas de fixation affective sur les joueurs, plus sur l'impact régional du club et son renom. Au Brésil, je suis la carrière de quelques entraîneurs comme T.C. Oliveira, Cuca ou Jorginho. J'étais supporter de l'Atetlico Mineiro, mais j'ai renvoyé mon porte-clé au président du club lorsqu'il a proposé un contrat au gardien de but Bruno, ex-Flamengo, incarcéré pour 30 ans suite au meurtre crapuleux de sa petite amie, alors qu'il refuse toujours de dire où est le corps. J'aime bien le Cruzeiro actuel et j'apprécie le jeu de Ricardo Goulard (21 ans). Dans le championnat Carioca, je suis le Vasco, par goût de la taquinerie des amis, tous flamengustes ou do Fluminense.
La Seleção a souvent été instrumentalisée à des fins politiques
Wf: Quelles sont les attentes autour de la Seleção?
Le sentiment de révolte populaire actuel des brésiliens a créé un curieux climat autour de la Seleção. Je pense que la première attente, peut-être inconsciente, du peuple (on parle de peuple et non de gens, au Brésil) est que les joueurs de la Seleção reconnaissent les problèmes du peuple du Brésil. La Seleção a souvent été instrumentalisée à des fins politiques, par la volonté de reconnaissance internationale avec la création du Maracana, plus grand stade du monde pour le plus grande équipe du monde, en 1950, puis par la dictature militaire, puis par l'instauration de la nouvelle politique monétaire et le Real (R$). Le peuple attend que maintenant, les joueurs soient du côtés des victimes.
Je ne ressens plus d'affection pour l'équipe nationale depuis 4 ans. Par exemple, si des feux d'artifices soulignent chaque but du Flamengo ou du Fluminense, et plus encore la victoire, ce n'est plus le cas lors des matchs de la Seleção. Mais Neymar a posé un geste symbolique fort qui a retenu l'attention du peuple, lorsqu'il a suspendu ses contrats publicitaires le temps du mundial.
Le peuple a assimilé les pratiques de la FIFA, notamment la corruption et un certain despotisme, comme équivalentes aux pratiques du gouvernement et de la présidence. Une certaine haine et une grande rancoeur est apparue. Par ailleurs, il n'y a plus ce football de "bandeirantes" (surnom des aventuriers coloniaux, intrépides et individualistes, qui ont découvert l'intérieur du Brésil) privilégiant donc l'exploit individuel, même non productif au résultat. Beaucoup moins de cracks aussi, et les joueurs connus sont des arrière ou fort jeunes, notamment au milieu. Ils ne font pas encore rêver.
Les brésiliens restent des connaisseurs, qui ont joué, hommes et femmes, au moins au futsal ou dans la rue. Ils connaissent le sport par la pratique du ballon, du terrain et de l'adversaire, ils savent la difficulté du geste, ils ont une l'histoire. On est loin de la compétence de salon par la play-station ou la Champion's league de trop de supporters européens. Deux ou trois victoires, quelques beaux mouvements devraient suffire pour renflammer tous les supporters, qui, toujours joueurs, anticipent et vivent cela dans leurs coprs.
Wf: Si tu devais nous citer un joueur à suivre, lequel choisirais-tu?
Pour un supporter belge, je pense qu'il est très intéressant de faire un parallèle entre Eden Hazard ou Januzaj et Neymar. Ce sont des joueurs, encore très jeunes, qui ont débuté dans des équipes de top avec des entraîneurs qui ne leur convenaient pas tout à fait, qui se sont adaptés très rapidement, se sont imposés aux professionnels, dont leurs coéquipiers, et ont fait une bien meilleure campagne 2013 que les critiques ne le disent. Ils jouent à gauche tous les deux, sont matraqués tous les deux, ont la même faculté à éliminer un homme et disposent d'un bon tir, Eden Hazard cadrant mieux, Neymar étant un bon joueur de tête.
IIs peuvent tous les deux forcer un résultat sur une action étincelante. Neymar a la chance de ne pas faire l'objet de jalousie et d'ostracisme au sein de son équipe et d'avoir un entraîneur qui accepte sa créativité. Edent Hazard n'a pas cette chance. Un duel entre deux joueurs qui, dans les cinq prochaines années, devraient devenir des stars incontestées du football mondial, hors imprévus physiques ou autres.
Wf: Donne-nous aussi une ou plusieurs raisons de supporter le Brésil!
Il semble que le Brésil soit la nation de "rechange" de beaucoup de supporters natifs de leur pays, nos amis issus du monde de l'immigration, tout comme moi, gardant dans notre coeur notre pays d'origine. Pourquoi ? Jusqu'il y a six ans d'ici et le réalisme, sordide et improductif du coach Dunga, à l'européenne d'antan, la Seleção a toujours offert au monde du jeu et des footballeurs qui donnaient de l'émotion et de la joie pure. Tout cela n'est pas perdu et peut réapparaître par moment, et plus dans la confiance. Le football et les gens ont besoin de cette allégresse et de cet art.
Parce que bien des footballeurs brésiliens ont apporté beaucoup au football belge.
Parce que Dante joue dans la seleção. Il a pris son envol en Belgique, mais son intelligence était supérieure à celle des dirigeants français et belge. C'est l'histoire d'un gars vendu pour une place qui n'était pas la sienne pour des questions de commissions et de retro-commissions et qui n'a cessé de réclamer le respect de sa formation et de son savoir-faire, sonon métier.
Une revendication comme celle de Milrallas. Avec le même retour de manivelle de la part de leurs entraîneurs. Et une éclosion internationale lorsqu'un technicien compétent l'aura entendue. Même s'il en veut toujours au Standard de Liège de ce mépris et de cette incompétence professionnelle dont il a été victime, il reste un grand joueur qui a animé notre championnat et fait rêver bien des supporters belges.