La chronique de Dupk : Mercato du vice!
Photo: © SC
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"Testis unus, testis nullus : on ne va pas bien loin avec une seule couille" Pierre Desproges
Je discutais récemment avec un jeune joueur de football professionnel qui avant de signer dans un nouveau club rendait une dernière visite de courtoisie à ses anciens équipiers. On a rapidement engagé la conversation.
"J'adore ce club, me dit-il, je pouvais pas partir sans dire un au revoir à mes coéquipiers". Ce joueur est jeune, pas encore blasé, même si pour arriver là où il est actuellement, il a dû avaler mille couleuvres et donner des coudes pour obtenir sa place au soleil.
"Par contre, poursuivit-il, les dirigeants ici sont des blaireaux, des faux-cul, des nique-ta-mère hypocrites qui me font gerber dès que je pense à eux".
Je souris. Je ne connais pas trop les gens dont il parle. C'est pas mon club. D'ailleurs, je couche à droite et à gauche avec des écharpes de diverses couleurs. Je lui répondis en demi-sage : "T'es encore jeune. T'as encore rien vu. Ces empaffés, ces petites-bites, ces pue-l'after-shave, ces m'as-tu-vu de mes couilles, pour poursuivre dans ton langage, faut tenter de les comprendre. Il y a les salauds, soit. Mais il y a surtout tous les autres dont le club croule sous les dettes dans un environnement économique calamiteux qui, le couteau sous la gorge, la marge de manoeuvre mince comme une feuille de papier à cigarette, tentent de survivre".
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Je me souviens d'une séance de négociation entre un président d'un club de la Jupiler League, un jeune joueur assez talentueux et son manager. J'avais été invité par le joueur à me joindre à mes premiers pourparlers (d'autres suivront par après pour comme pour tanner mes étonnements de novice).
Le président nous faisait face , tassé dans son fauteuil , un fauteuil caricaturalement présidentiel rendant nos sièges dérisoires. Le président, un homme direct, un entrepreneur qui n'y va jamais avec le dos de la cuiller, sortit un papier de sa poche qu'il offrit au joueur.
"C'est un contrat type, lâcha-t-il, qu'on propose à tous nos nouveaux joueurs". Le manager se leva, prit le document rédigé en néerlandais des mains de son joueur et me le présenta pour que je le traduise. Pendant que je traduisais, je pensais en moi-même que les sommes indiquées sur la proposition de contrat, même en trimant comme une bête de somme, jamais je ne pourrais y prétendre, même en additionnant les salaires de mes deux boulots à plein temps. Aussi, naïf total, candide intégral comme pas deux, j'aurais signé tout de suite, fait la bise au président, bu le champagne pour saluer le contrat conclu et aurait illico enfilé mon maillot pour commencer à m'entrainer.
Mais le manager éclata d'un rire tonitruant. "C'est une plaisanterie? C'est un gag, j'espère. Président, vous avez l'humour d'un Laurel et Hardy! Pour un tel montant, jamais nous ne signerons quoi que ce soit" lança-t-il alors.
S'engagea ensuite une interminable discussion qui gonfla les chiffres griffonnés sur le contrat. Le président convint de surcroit de prendre en plus les frais de logement du joueur à sa charge, de lui mettre une voiture à sa disposition et de payer une belle somme comme prime à la signature au manager. De plus, il ajouta qu'en Belgique, les clubs étaient obligés de verser sur un compte 30.000 euros comme fonds de pension au bénéfice du joueur. Il expliqua qu'à l'âge de trente-cinq ans, le joueur toucherait les 30.000 euros multipliés par le nombre d'années sous contrat professionnel. Ce qui lui constituait un beau bas de laine.
Ces chiffres me donnèrent le vertige. On approchait des 100.000 euros. Au bout de quatre heures d'entrevue, alors que l'affaire semblait dans la poche, le manager qui venait d'empocher une belle somme, avança de façon inattendue pour moi une dernière requête.
"Mon joueur a passé un test durant trois semaines dans votre club. Toutes les dépenses ont été à notre charge. Est-ce que le club pourrait intervenir pour couvrir une partie de celles-ci?" demanda-t-il d'une façon qui m'apparut sans vergogne. Le président se renfrogna, rida son front comme le cul d'un babouin, noircit son regard fatigué pour finalement lacher un "Combien voulez-vous?". L'agent sortit à son tour un papier tout chiffoné de sa poche, scribouilla quelques chiffres dessus, puis jeta insolemment le papier sur la table devant le président qui d'un trait de porte-plume barra tout de go le montant indiqué pour en noter un autre. Il me remit le chiffon de papier. Avant de le faire passer, j'eus l'occasion de parcourir d'un regard à la détournée. Le montant barré était de 1200 euros. Le montant présidentiel de 1100 euros. Une voix intérieure me susurra : "Quels pauv' types!"
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L'agent de joueur est un commerçant roublard, charmeur, patelin enjôleur qui renifle l'argent avec la baguette de sourcier de son sixième sens. Vieux beau, faux sage, souvent ancien joueur, il connait la cuisine intérieure des clubs. Proie jadis de la toute-puissance de ces clubs, il tient aujourd'hui sa revanche. C'est lui désormais qui dirige la manoeuvre, qui tient la baguette, qui donne le tempo à la carrière de ses jeunes protégés. Il a du bagout. Il a l'âpreté cynique qui lui taille un costume d'habile négociateur. Il a le bluff du maître-chanteur.
Jadis donc, il y avait un marché des transferts, un marché unique qui ligotait le footballeur à un destin de marionnette pris dans les fils dorés d'une vie de clubman. Aujourd'hui, le marché unique s'est dédoublé, sous la pression des agents qui tiennent les clubs en otage comme jadis ceux-ci tenaient leurs joueurs sous scellés.
Et quand ils ne les prennent pas en otage, ils les infiltrent, ils les prennent à la hussarde, ils les encagent. Les clubs, ces anciens fauves tout puissants leur mangent dans la main, celle qui fait pourtant main basse sur toute morale. L'agent de joueur s'appelle D'Onofrio, Imborgia, Selak, etc. Ils font la pluie, le beau temps et surtout la neige qui glace nos rêves bénêts de supporters.
Un mercato par an ne leur suffisait plus. Un joueur fidèle à un seul club ne l'intéresse plus. La vie est mouvement, disent-ils. La vie est un fleuve de flouze, insistent-ils.
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