L'Alphabut de Dupk : la lettre J

Dirk Diederich
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L'Alphabut de Dupk : la lettre J
Photo: © SC

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Nous voilà à la lettre J de l'Alphabut, un J comme Jocrisse, comme Je dis rien, comme Journaliste foot.

J comme journalistes

 

Le football n’existe que par la grâce de ses quatre cariatides : le joueur, le supporter, le marchand de joueurs et le journaliste. Sans ces socles porteurs, le jeu à onze se résume à un divertissement de plage, à une espèce de horse-ball sans cheval, à un jeu de boules où il n’y aurait que le cochonnet, à une bouteille jetée à la mer sans le moindre message.

 

Le journaliste n’a pas d’ailes pour survoler comme un Milan Jovanovic les pelouses de Liège, de Wallonie, de Flandre et d’Europe. Il n’a qu’une plume, une plume désormais informatisée, une plume au soufflet électrique qui le cloue sur une chaise, devant une table dotée d’une prise pour brancher son ordinateur.

 

« Il n'existe guère que deux arts de vivre: l'un consiste à se mettre à la place des autres, l'autre à la leur prendre » disait le truculent Antoine Blondin, la référence suprême du journalisme sportif.

 

Mais aujourd’hui, le journaliste sportif n’a plus le temps de se mettre à la place des autres. Il  écrit au kilomètre, souvent des banalités. Sa phrase ressemble à une passe effectuée sans trop de conviction. Dans la presse écrite, le plumitif du football mesure à chaque article son impuissance, la dérision de son travail. Il puise dans son sac de formules convenues les descriptions de ses matchs. Certains, presque par dépit, écrivent leur pensum à la mi-temps, trouvant leur titre entre un sandwich jambon et un sandwich fromage offerts par le club hôte.

 

L’enthousiasme est encore rarement de saison footballistique, la profession se fonctionnarisant. Dorénavant , le journaliste se mue en un simple greffier. En scribouillard appliqué. Il est dans l'immédiat. Le lyrisme sonne incongru. Le lyrisme dans les pages foot, c’est le troubadour médiéval en première partie d’un concert de Metallica.

 

Lucien de Rubempré moderne, le journaliste peut avancer des circonstances atténuantes. Il risque à tout moment d’être sifflé hors-jeu par une époque policée. Le verbe doit être sobre. La chemise dans le pantalon. La coupe de cheveux soignée. L’adjectif passe-partout. Dans ces conditions, le cynisme triste ne peut être que de mise. Le Fast-Foot n’autorise plus les ouvrages de gourmets, les raffinements et les élégances de syntaxe. Tandis que le style répond de plus en plus aux exigences de la dépêche de presse. Anodin, sans effet, discret, aussi vite lu qu’oublié pour qu’on puisse le resservir à l’envi.

 

Les interviews de joueurs, d’entraineurs ou de dirigeants de clubs sont des monuments de non-dits, de phrases formatées, de propos attendus. Le joueur par contrat ne peut rien dire, sinon que « nous ne perdons pas espoir, nous avons bien joué, je pense que nous méritons les trois points, malgré la défaite, l’ambiance reste bonne, nous travaillons dur, nous jouons pour nos supporters qui le méritent ». L’entraineur s’oblige à positiver, à jouer un personnage, à baliverner pour finalement, en joueur en chef, ne rien dire lui non plus.

 

Et le journaliste de griffonner dans un calepin lers deux trois mots qu’il réécrira dans sa langue d’agence de presse. Par la magie du journaliste, Aloys Nong parle comme Olivier Deschacht ou comme Igor De Camargo. Même les joueurs qui ont la tchatche facile et colorée comme Momo Dahmane par exemple voient subitement leurs mots aplatis, traduits, mâchés.

 

Le journaliste du football est condamné à rester en surface de son sujet. Pas de temps pour l’apnée, pour les perspectives, pour la photographie saisissante d’un monde corrompu où l’amour du jeu n’est plus que prostitution et le football une histoire de passes.

 

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