L'Alphabut de Dupk
Photo: © SC
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Durant vingt-six jours, Dupk livrera sa vision du football qu'il déclinera au travers de son alphabut éminemment subjectif. Aujourd'hui, il débute par la lettre ...A. A comme Avant-propos.
A comme Avant-Propos
Le football est une allégorie primitive de la vie. Une geste simple. Où le complexe serait magiquement devenu intelligible aux QI inférieurs à 40. Il y a là du bonheur du simple d’esprit qui sommeille en chacun de nous.
Une prairie rectangulaire délimitée au cordeau, un ballon, deux bandes de poètes de l’effort disposés de part et d’autre du terrain, un homme vêtu de noir en habit de désespoir d’être tenu à l’écart, un sifflet dans le bec comme pour l’empêcher de parler, de dire son envie de taper lui aussi dans le ballon de ses pieds chaussés pourtant de crampons. Deux tristes clowns blancs qui arpentent la ligne de touche, un drapeau ridicule à la main qu'ils agitent comme s'il s'agissait de guider l'atterrissage d'un Boeing sur le toit de feu le World Trade Center.
Et tout autour de l'herbe sacrée, des gradins nickels, désherbés et arides en surfaces d'hypermarché, qui supportent les supporters ingrats qui sans le moindre égard pour le béton inélégant sous leurs pieds n'ont d'yeux que pour leurs divinités en culottes courtes et en jambes longues.
Le joueur de football a remplacé dans nos phantasmes le cow-boy des westerns de jadis. Buffalo Bill dribble désormais en bison fûté des surfaces les visages pâles du camp retranché d'en face. Johnny Guitar la ramène en défenseur intraitable. Winnetou fonce tel une flèche dans le vent, tel un Ryan Giggs dans l'antre d'Old Trafford. Et John Wayne n'a pas toujours joué le Mbark Boussoufa en version tassée et fin de carrière.
Le football est une allégorie primitive de la vie. La défaite y surgit à la façon de la mort ou du dernier disque de Céline Dion sur la bande FM, cruelle, impitoyable, casse-bonbons, se riant des optimismes, des séries de victoires, des Real de Madrid à la petite semaine. Au jeu à onze, pas question d'éternité, d'Olympe absolu. Les palmarès suivent les cours boursiers et les caprices de multinationales, voire de cheikhs en blanc, tout à leurs délires d'ennui dans leurs déserts pétrolifères.
La vérité d'aujourd'hui y est le ridicule de demain, le chrysanthème d'après-demain qui fleurira les tombes de nostalgie du quidam en écharpe et en bide houblonné. Le football est devenu un monde d'aléas, de peaux de bananes glissantes, de chausse-trapes, de sourires en forme de la virgule spermatozoïdale de Nike, un fast-foot où les fautes de goût et de coup se consignent sur de ridicules petits cartons jaunes et rouges distribués avec le sérieux d'une déclaration gouvernementale en période de crise mondiale.
Pourtant, j'aime ce monde, cet univers, ce trou noir intersidéral, cette farce intergalactique, car à chaque moment s'y jouent la Comédie humaine, les Misérables, la Recherche du Temps Perdu, les Hommes de Bonne Volonté au parler rabelaisien. Le parfum y est de bière, les regards y sont de passions, les fraternités y sont de rocs, les dérisions y sont chauvines, les chauvinismes y sont dérisoires, les "allez les mauves" confinent aux encouragements de midinettes, tandis que les "allez les autres couleurs" touchent au sublime, à l'esthétisme traduit en chants grégoriens populaires, en "you'll never walk alone" roboratifs.
J'admire le supporter qui s'accroche aux ruines de son stade, à la gloire passée, au révolu dont il ne reste plus que quelques briques bouffées par la patine du temps. Je suis moi-même et supporter de l'Union St-Gilloise et du Stade Edmond Machtens et du Club de Liège et du RFC Antwerp et du KV Mechelen et du Leopold Uccle et de l'AFC Tubize. Amoureux des vestiges qui ont du chien et une histoire, de ces Parthénons décomposés, de ces stades beaux jusque dans leurs restes de femmes fatales, je suis un libertin du football, portant autour du cou un arc-en-ciel en guise d'écharpe.
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